
« Une fée s’est penchée sur mon berceau à ma naissance et m’a dit : « Tu ne goûteras qu’à une part minuscule de cette vie et en échange tu la percevras toute. »
Christian Bobin
Comment exprimer l’indicible ? L’impact sur notre état psychique et physique que parviennent à engendrer des émotions d’une intensité inouïe. Christian Bobin, poète et philosophe français doit sans doute faire partie des personnes dites hypersensibles car plus que de voir et d’observer la vie, plus que de la décrire, il nous l’insuffle à travers ses mots lumineux. Dans ses écrits, il transcende le rationnel voire le cartésien pour nous l’exprimer en toute simplicité et ce, avec une infinie tendresse qu’il nous parle d’un brin d’herbe, de Rimbaud ou de son grand amour. La vie, il la perçoit, il la ressent dans toutes les fibres de son être.
Cet extrait de ma nouvelle intimiste, Alba, la quête de l’absolu exprime parfaitement la perception d’une période de ma vie (l’enfance) par le biais de mon hypersensibilité :
Enfant, tout me semblait démesuré.
Mon père était un géant faisant les cent pas dans mon cœur. Marquant ainsi de ses enjambées de sept lieux ma petite existence.
Dans mon vaste imaginaire, un bosquet se métamorphosait en une forêt luxuriante et tropicale. Les remous d’une rivière devenaient une mer en furie. Un ciel d’ardoise, un espace musical où éclataient toutes les tempêtes. Mes joies comme mes peines, toutes mes émotions étaient amplifiées par cette lutte incessante entre le trop-plein et le trop peu. Le calme et l’intense. Entre la tendresse qui parfois au hasard des jours se déversait sur moi, telles de grandes lampées d’eau claire si bonne à boire. Une eau de ressourcement que firent couler sur moi des adultes, mais surtout une femme, Esperanza, ma grand-mère, source inaltérable où me désaltérer l’âme. Et, trop souvent hélas, une eau glaciale et familière dans laquelle je me noyais au fil des courants. Emportée par des vagues déferlantes d’indifférence.
Je buvais les paroles de mon père comme d’autres boivent de grands verres d’eau fraîche, cherchant ainsi à étancher ma soif de tendresse. Pourtant ses paroles étaient trop souvent abrasives comme du sable qui érafle le gosier et lézarde l’âme. Alentour, tout était mouvance, instabilité et fuite. C’est ainsi que ma vie à peine naissante m’échappait déjà.
Dire que j’aimais mon père serait faible. En vérité, je l’adorais. Mon père était comme cela doit l’être sans doute pour bien des fillettes, le centre de mon univers, ma seule religion et mon Dieu. Et Dieu est témoin qu’en ces temps-là, j’avais la foi. Même les yeux grands écarquillés, mon regard d’enfant ne parvenait pas à le contenir en son entier. Il meublait scène par scène ma petite enfance pour en faire un vaste théâtre de pourquoi et de comment. Interrogations qui restent encore aujourd’hui sans réponses. Un mystère pesait sur ma naissance comme une ancre m’empêchant de naviguer. Je tournais en rond.
Quand mon père respirait librement, nous respirions tous, mais lorsqu’il étouffait, nous étouffions avec lui. Toute la maisonnée respirait d’un seul poumon.
À l’instar de Christian Bobin et de beaucoup d’autres sans doute, je n’ai jamais porté un regard en surface sur les éléments qui composent la vie, les choses ou encore les humains mais bien en profondeur. C’est sûrement pour cette raison qu’on me dit avoir l’âme d’une poétesse et un regard singulier. Très longtemps, je me suis sentie étrangère en cet univers, un peu comme si j’étais une extra-terrestre, comme si j’étais dans ce monde mais pas de ce monde. Cela m’arrive encore régulièrement. À force de vivre et de côtoyer des personnes dites rationnelles, donc logiques, j’ai cru avoir une problématique de santé mentale, une vulnérabilité, une sensibilité à l’égard de l’existence non recommandable, une vision déformée de la réalité, celle qu’on me disait être la vrai, l’unique. Alors, j’ai consulté, mais cela n’a pas donné grand-chose…Mon mal semblait incurable, jusqu’à ce qu’à travers mes nombreuses recherches, j’entende parler des traits de caractères et des particularités attribuées aux hypersensibles…Je ne pouvais, le nier…Oui, je suis une hypersensible et fière de l’être malgré tout ce que cela peut engendrer tant de positif que de négatif. Toutefois, en en étant consciente, il m’est plus facile de comprendre mes interactions avec les personnes de mon entourage.
L’hypersensibilité, en psychologie est une sensibilité plus haute que la moyenne, provisoirement ou durablement, pouvant être vécue avec difficulté par la personne concernée elle-même ou perçue comme « exagérée », voire « extrême », par son entourage. Cette notion renvoie à un tempérament, à une caractéristique individuelle qui permet d’identifier un ensemble clinique défini en 1996 par Elaine Aron, psychologue clinicienne qui a fait des recherches poussées sur ce sujet qui ont débuté en 1991. Cette dernière, revisite, par le biais d’études empiriques, le concept de « sensibilité innée » introduite en 1913 par Carl Gustav Jung. Toujours d’après Elaine Aron, en règle générale, après une enfance difficile, un hypersensible s’est construit un ensemble de protections psychologiques lui permettant de se blinder ou d’éviter un monde perçu comme excessivement violent.
D’après les recherches qui ont suivi, les « individus hautement sensibles » représenteraient entre 10 et 35 % de la population. Les caractéristiques de cet ensemble découlent d’une plus forte réactivité à une même stimulation, ce qui a des aspects positifs – Jung parle de « caractère enrichissant » – et des aspects négatifs, comme une sensibilité accrue à la peur.
Selon Jung, qui l’a évoquée le premier, c’est un caractère enrichissant, qu’on ne peut pas considérer en lui-même comme pathologique, ou alors il faudrait faire de même avec « un quart de l’humanité. C’est sans aucune ambiguïté, ce qui ne l’empêche pas de préciser la chose en contexte : « Néanmoins, si cette sensibilité a des conséquences destructrices pour le sujet, on doit bien admettre qu’on ne peut pas la considérer comme bien normale ».
Pour Saverio Tomasella, Psychanalyste et Docteur en psychologie, l’hypersensibilité n’est ni une maladie ni une anomalie. Elle n’a donc pas besoin d’être soignée. « Devenir humain est une conquête quotidienne, affirme-t-il, et celle-ci passe par la fierté d’être sensible ». Il indique qu’en tant que telle, l’hypersensibilité n’est pas une pathologie. Toutefois, elle peut être cause de souffrance et nécessiter dans ce cas une prise en charge psychologique. Elle peut également entraîner des difficultés du fait de l’incompréhension de l’entourage. Pour celui-ci, l’hypersensibilité n’est pas génétique, mais découle de l’histoire singulière de chaque personne, depuis sa vie intra-utérine, comprenant les influences possibles du contexte familial, de la généalogie et de la société.

Voici quelques-unes des questions que vous retrouverez sur la page de Madame Aron pour identifier si vous êtes une personne hypersensible :
- Êtes-vous facilement submergé par des choses telles que des lumières vives, des odeurs fortes, des tissus grossiers ou des sirènes à proximité ?
- Êtes-vous secoué lorsque vous avez beaucoup à faire en peu de temps ?
- Faites-vous un point d’honneur d’éviter les films et émissions de télévision violents ?
- Avez-vous besoin de vous retirer pendant les journées chargées, au lit ou dans une pièce sombre ou dans un autre endroit où vous pouvez avoir de l’intimité et un soulagement de la situation ?
- Arrangez-vous votre vie pour éviter les situations bouleversantes ou accablantes ?
- Vous remarquez ou appréciez des parfums, des goûts, des sons ou des œuvres d’art délicats ou fins ?
- Avez-vous une vie intérieure riche et complexe ?
- Lorsque vous étiez enfant, est-ce que vos parents ou professeurs vous considéraient comme sensible ou timide ?
Il n’est pas simple de cibler les caractéristiques distinctives des personnes hypersensibles, car il n’y a pas deux hypersensibles identiques. Cependant, voici une autre liste des caractéristiques qui peuvent vous aider à identifier si vous êtes un hypersensible.
- Vous êtes empathique. Vous vous souciez des autres et êtes préoccupé par leurs soucis tout autant que vous espérez aussi leur bonheur.
- Vous êtes émotif. Les émotions – toutes ! –, vous les vivez intensément. Vous sentez que vous flirtez toujours avec les extrêmes et ne naviguez presque jamais dans des eaux calmes. Mais de l’extérieur, vous apparaissez comme quelqu’un de calme. La tempête, c’est en dedans qu’elle se passe.
- Vous êtes intuitifs, mais vous aimez toutefois analyser une situation ou un problème avant de prendre une décision.
- Vous êtes plutôt solitaire. Vous appréciez vos moments de solitudes non pas que vous n’aimez pas les gens, mais vous avez parfois l’impression de ne pas être à l’aise dans toutes les situations.
- Vous n’aimez pas être trop sollicités. Quand les demandes fusent de toutes parts et ne s’enlignent que vers vous, vous avez tendance à paniquer. Vous sentez que vous marchez sur un fil et vous n’aimez pas cette sensation. Vous préférez faire une chose à la fois et non être inondé de demandes.
- Vous êtes dérangés par les sons. Les bruits ont tendance à vous agresser alors, si vous le pouvez, vous travaillez sûrement dans le silence et avec la porte fermée.
- Vous êtes aisément submergé par vos propres émotions et celles des autres. Vous êtes une éponge et vous « captez » ce que vit votre entourage.
- Vous êtes minutieux et avez même tendance à être perfectionniste. Vous vous souciez des petits détails, mais surtout de tout ce qui peut affecter le moral ou le bien-être des autres.
- Vous tolérez mal vos propres erreurs. Vous êtes dur envers vous-même et avez tendance à ressasser ce que vous avez fait (ou pas fait !). Vous vous critiquez sévèrement.
- Vous êtes souvent anxieux ou stressé et avez du mal à bien gérer ces émotions qui perturbent, plus que pour la majorité des gens, vos activités quotidiennes.
- Vous êtes une bonne oreille. Une de vos plus grandes qualités est que vous écoutez bien les autres. Vous vous souciez réellement de ce que les autres vous partagent et cela fait de vous un confident recherché.
- Vous n’aimez pas avoir à prendre une décision finale. Même si vous travaillez bien en équipe, vous n’êtes pas celui qui mettra son pied à terre pour prendre les décisions.
- Vous êtes facilement émerveillé. Devant un coucher de soleil, une photo d’un ami, une chanson ou pour n’importe quel petit moment, vous avez le cœur chaviré.
- Émotionnellement, vous gardez de nombreuses cicatrices des épreuves passées. Vous mettez plus de temps à retomber sur vos pieds.
- Vous êtes facilement perturbés par une pensée ou une idée. Elles peuvent prendre beaucoup de place dans votre esprit et vous empêcher de fonctionner normalement. Vous êtes parfois irrationnel et complexifiez certaines situations sans le vouloir.
- Vous vous sentez « nu », sans carapace, pour vous protéger contre les aléas de la vie et les émotions que vous vivez.
Il n’est pas nécessaire de retrouver en vous toutes ces caractéristiques pour être hypersensible. Et chacune d’entre elles peut être vécue de façon plus ou moins intense. Évidemment, cet article ne remplace en rien l’avis d’un professionnel. Cette liste a été créée selon les caractéristiques décrites par l’autrice Elaine Aron.

Voici quelques-unes des questions que vous retrouverez dans les écrits Monsieur Tomasella pour identifier si vous êtes une personne hypersensible :
Toi qui as tendance à te sentir seul même lorsque tu es entouré ;
Toi qui as tendance à remettre les émotions des autres sur ton dos déjà bien lourd ;
Toi qui es empathique à pouvoir t’en rendre malade, il faut dire que le monde ne tourne pas tout rond ;
Toi qui te sens seul contre le monde, et profondément incompris ;
Toi qui as comme plus grosse frayeur et obsession qu’on t’abandonne… Bon, soyons honnête, tu fais parfois tout pour que ça t’arrive, pour finalement te dire « ah tu vois, j’avais raison », « personne ne m’aime » et tout ce bla bla. L’auto-sabotage, autant dire que ça me parle ;
Toi qui remets sans cesse en question ta vie, tes choix ;
Toi pour qui le regard des autres peut être un coup de poignard ;
Toi qui cherches parfois l’amour au mauvais endroit, au mauvais moment ;
Toi qui es très intense et qui ne connais pas les faux semblants ;
Toi qui ne t’arrêtes jamais de penser, et qui aurais pourtant bien besoin de repos du cerveau ;
Toi qui as tendance à être maladroit quand tu t’exprimes, à vouloir arrondir les angles pour qu’on t’aime un peu plus, mais pour finalement faire pire et complètement te perdre dans tout cela ;
Toi qui aimerais parfois plus de lumière sur toi pour crier au monde comme tu peux avoir mal et que tu puisses enfin te sentir entendu et reconnu dans ton mal être ;
Toi qui as dû entendre des milliers de fois « elle exagère, arrête de pleurer, t’es complètement extrême » ;
Toi qui veux juste qu’on s’intéresse profondément à toi, à ton vécu, à tes émotions, pas juste à ce que tu peux refléter et renvoyer ;
Toi qui as une réactivité émotionnelle décuplée ;
Toi qui as constamment de l’anxiété en toi (il faut t’excuser, la vie ne fait pas de cadeau) ;
Toi qui es attentionné, mais sans doute trop… C’est toujours trop finalement ;
Toi qui n’as pas su dire « non » assez fort et qui en gardes des vives blessures que personne ne peut comprendre, ni même imaginer ;
Toi qui, malgré ton vécu, réussis à te réjouir pour une assemblée ou pour le bonheur de l’autre ;
Toi qui donnerais ta vie pour celle des gens que tu aimes véritablement, et qui, oui, devrais bien franchement être plus égoïste et penser à toi-même ;
Toi qui… toi qui… stop !
Il est temps d’apprendre à mieux se connaitre, à s’aimer, à s’accepter, avec nos émotions et certaines de nos « particularités ». Si une personne te demande de changer, il est peut-être temps de te tourner vers d’autres personnes qui t’accepteront comme tu es. Entoure-toi des bonnes personnes, celles qui peuvent et savent écouter tes maux/mots. Prends le temps nécessaire pour toi, sans te préoccuper toujours de ce que vont en penser les autres.
Ne cherche pas dans des tas de bouquins comment changer cela, mais inspire-toi et crée ta propre histoire. Il est grand temps d’arrêter de considérer qu’il s’agit d’un défaut et de dédramatiser tout ça. Prenons soin de notre être dans son entièreté, car comme l’a si justement mentionné John Kabat-Zinn dans son livre du même titre : Où tu vas, tu es. Nous devons apprendre à aimer et à être fier de qui nous sommes, dans notre entièreté ainsi que dans le respect de l’autre.
Références :
Dictionnaire Larousse, 2017
Site de Madame Elaine Aron :
Vidéo de Savario Tomasella : êtes-vous une hypersensible # 25
Hypersensibles. Trop sensibles pour être heureux ? par Saverio Tomasella. Eyrolles, 208
p., (2012).