LA FÉLICITÉ.
On ne peut pas être heureux sans y travailler durement. La félicité ne consiste pas à se tenir à l’abri du mal — ça, c’est être épargné —, elle débute après les coups. Subir un bombardement de violences, de déceptions, d’insultes, de félonies, de deuils, et néanmoins sourire, savourer… Il faut insérer la douleur dans la trame de nos jours.
Or, s’appliquer au bonheur ne suffit pas. Pas seulement parce que la vie s’obstine à blesser, mais parce que le bonheur réside dans le silence de la pensée. Être heureux résulte justement de ne plus se demander si l’on est heureux, le ravissement venant de la disparition des questions. Comme le sucre fond dans l’eau, inquiétudes, doutes, interrogations se dissolvent dans l’euphorie. La béatitude se montre une faveur, laquelle dépend de nos préparations, mais s’en échappe, telle la grâce d’une danseuse ou d’un pianiste. De même que les exercices ne donnent pas le génie mais y contribuent, la sagesse ne procure pas le bonheur mais le prépare.
(Plus tard, je serai un enfant – Éric-Emmanuel Schmitt)